Article publié dans le magazine Forbes.

Dans un article publié en 2021 dans la Harvard Business Review, trois auteurs tissent un lien entre la notion de sécurité psychologique et le travail hybride : plus nos équipes évoluent dans un environnement associant travail sur site et télétravail, plus la frontière vie personnelle – vie professionnelle devient un sujet de conversation légitime. Or, pour oser sinon se livrer, du moins partager des contraintes personnelles qui viennent polluer son travail (et inversement), un collaborateur devra observer des preuves concrètes de sécurité psychologique…

Le concept de sécurité psychologique

Il est très proche de ce que l’éthique du care (du prendre soin, de l’attention à l’autre) peut exprimer au travers de la notion de pouvoir de dire : « La sécurité psychologique est un climat qui permet aux collaborateurs de s’exprimer et dans lequel ils se sentent à l’aise : ils peuvent partager librement leurs idées, même à l’état d’ébauche, leurs préoccupations, leurs interrogations et leurs erreurs, sans crainte d’être jugés ou de subir des représailles » (définition livrée par Olivier LABORDE dans un autre article de la HBR, disponible en ligne en ligne lui aussi).

Le droit à l’erreur, que l’on peut donc conceptualiser à travers le prisme de la sécurité psychologique, pose alors la question suivante : comment inspirer les commanditaires pour aller dans cette direction, et comment, si cela fait écho chez eux, traduire cet enjeu tant dans le management que dans les environnements de travail ? En d’autres termes, l’espace peut-il être source de sécurité psychologique ?

Cultiver l’Art de Converser et ses symboles dans l’entreprise

Repartons de la première étape proposée dans l’article pour bâtir une telle sécurité. Elle consiste à « définir un nouveau cadre de référence collectif dans l’entreprise, qui prône les discussions ouvertes et le droit à l’erreur. Il faut que les collaborateurs soient sur la même longueur d’onde, avec des objectifs communs et une appréciation partagée de ce qu’ils vivent et affrontent. Les dirigeants doivent modifier la culture d’entreprise, en fixant les attentes vis-à-vis de l’échec et de la façon dont il est accueilli ». Et, dans la continuité, « la deuxième étape propose d’inviter les collaborateurs à s’exprimer et à faire remonter les éventuelles défaillances observées, à évoquer leurs doutes sur certaines pratiques ou process. »

J’ai souvent rêvé de créer des  « Bourdes Awards », trophées décalés qui permettraient aux équipes d’une organisation de candidater pour partager leur plus beau « plantage », tout en explicitant bien évidemment comment ne plus reproduire l’erreur en question. Si un « Wall of Fame » est souvent plébiscité par les entreprises qui transforment leurs espaces de travail, et il est essentiel bien sûr de mieux reconnaître et valoriser les métiers dans les entreprises (ainsi que les réussites collectives), un « Wall of Fa…ilures » aiderait à encourager la parole, à symboliser une culture de la confiance, une certaine sécurité psychologique.

Quand on mesure l’importance du management visuel dans nombre d’entreprises, je me dis que pouvoir rendre tangible un tel « mur » pourrait avoir du sens. Chacun pourrait s’y exprimer, sans ambages, et d’autres réagir, tandis que les managers commenteraient régulièrement ces formes d’expression libre. En élargissant le cercle des acteurs, l’entreprise pourrait, et certaines le font déjà y compris dans leurs points de vente, afficher les avis publiés sur les réseaux sociaux, les baromètres de satisfaction client ou encore les baromètres de satisfaction des équipes.

Bref, il s’agit donc bien de partager ce qui souvent est caché, considérer que la transparence est une vertu. Et que le symbole qui consiste à la rendre tangible dans les espaces de travail vaut encouragement. Avoir voix au chapitre, cela se cultive et cela se manage, et cela peut donc aussi se voir et se toucher, se ressentir, dans les environnements de travail. S’il est vrai, comme nous l’a appris le grand psychologue néerlandais Gert HOFSTEDE, qui fut professeur à l’Université de Maastricht, qu’une culture est faite de rituels et de symboles (en plus de valeurs et de héros), alors on voit tout le bénéfice que l’on peut tirer d’une judicieuse confluence entre des pratiques managériales encourageant le pouvoir de dire et des supports physiques qui le symbolisent.

La sécurité psychologique, condition d’une réelle collaboration

De plus, s’il est également vrai, comme le souligne une autre contribution parue dans la Harvard Business Review datant de 2016, que les salariés passent 50% de temps de plus à collaborer qu’il y a vingt ans, alors « l’échec de la plupart des entreprises n’est pas dû à un manque de talents, mais à l’absence du leadership nécessaire à l’installation d’un climat de collaboration et de sécurité psychologique sur le lieu de travail », pour citer à nouveau O. LABORDE.

Quand on sait que les deux besoins les plus manifestes exprimés par les entreprises sont précisément la collaboration et la convivialité, tout ceci fait sens. Il ne s’agit donc pas seulement de créer « plus » d’espaces collaboratifs, il s’agit bien de créer en même temps les conditions d’une sécurité psychologique plus forte, gage d’une réelle collaboration.

On le voit, tout cela ne fonctionne que si des rituels managériaux viennent en appui. Les espaces de travail ne créent que des potentialités : aux managers d’être les metteurs en scène de la collaboration et les garants de la sécurité psychologique dont nous avons, tous, besoin. Des formes de management visuel peuvent rendre tangible cela, de manière ludique, mais sans animation elles resteront passives. Elles seront des leurres, comme le sont tous les décors de théâtre.

Il est donc essentiel de faire travailler le collectif des managers sur les conditions d’une meilleure collaboration, sur les façons de libérer la parole, de donner place à une expression constructive des critiques, idées, suggestions, remarques, expériences… Et d’imaginer les supports physiques qui aideront à nouer ce dialogue, à le mettre en mots et en images, dans les espaces de travail, au travers d’objets totémiques, d’artefacts ludiques, d’arbres à palabres…

Elargir le cercle des « coopérants »

Pour finir, rappelons que les projets de transformation s’appuient le plus souvent sur des réseaux « d’ambassadeurs », ces collaborateurs et/ou managers qui vont pouvoir participer à des interviews, des formations et des ateliers, qui, de fait, sont généralement choisis parmi les personnes les plus collaboratives. Or l’article déjà cité souligne un biais : la demande de collaboration tend à se concentrer sur les 3 à 5% de personnes les plus enclines au sein des organisations à coopérer.

Le choix de ces dernières doit donc pouvoir être bien pensé, afin de mobiliser tout à la fois les « bons » profils (les plus disposés), tout en sollicitant, aussi, des personnalités moins ouvertes, tout à la fois pour ne pas surconsommer une « ressource » rare, et pour veiller à élargir le cercle des « aspirants à la collaboration ». Au fond, ces derniers ont peut-être parfois vécu une autre ère : celle de l’entreprise « malentendante », peu ouverte au dialogue et à la transparence. Ne pas avoir ressenti et éprouvé, en d’autres termes, cette indispensable sécurité psychologique, les aura confortés dans une posture taiseuse, et, partante, peu collaborative… La boucle est ainsi bouclée.

Benoît Meyronin