Korus Group est très heureux de partager avec vous ce texte, rédigé par Albane GRANDAZZI, professeure à Grenoble Ecole de Management, membre de la Chaire Territoires en Transition. Nous soutenons financièrement cette Chaire, via du mécénat Recherche, en tant que membre actif de la Fondation de l’Ecole – fondation que préside notre président-fondateur, Charles MACOLIN

Cet investissement participe tout à la fois de notre R&D et de notre RSE, car il nous a toujours paru essentiel de nous inscrire dans un écosystème, dans un monde de plus en plus complexe, poreux, exigeant… Les expérimentations conduites sur Grenoble, et qui sont a priori fort éloignées des problématiques de nos clients, sont à l’inverse des sources d’inspiration pour nous, qui croyons depuis de nombreuses années à l’extension de la logique de l’usage dans l’univers de l’immobilier professionnel – ce dont témoigne déjà le développement du marché du coworking.

Comment penser le futur des espaces de travail et de services ? La question du partage des usages.

Notre analyse des enjeux et des démarches de partage d’infrastructures collectives s’est nourri d’un atelier réunissant divers partenaires de la chaire Territoires en Transition de Grenoble Ecole de Management sur les défis des usages partagés de biens collectifs. Deux expérimentations ont été présentées et discutées lors de ce temps (Département de l’Isère et Mutualité Française Isère).

Nous faisons régulièrement usage de plateformes dites « collaboratives » dans nos activités quotidiennes, que ce soit pour utiliser un bien, ou mettre à disposition le sien : partager l’usage de sa voiture sur Getaround, de son appartement sur Airbnb, et de sa perceuse sur AlloVoisins… Ces pratiques sont déjà ancrées depuis déjà plusieurs années. Pour autant, il s’agît de partage de biens dont la propriété est personnelle, pour des usages similaires. Qu’en est-t-il du côté des biens collectifs, publics ou privés, voire des « communs » ?

Partager les usages d’« infrastructures collectives » : quels enjeux ?

Les biens collectifs correspondent souvent à des « infrastructures », bien que d’autres types de biens collectifs existent (air, eau, etc.). Ces infrastructures sont définies dans la littérature scientifique comme des équipements structurants d’une société (on pense intuitivement aux infrastructures de transports par exemple). Au-delà de ces dispositifs matériels imposants, les infrastructures renvoient plus largement à des équipements collectifs. Le réseau routier, les éoliennes, les centrales nucléaires, les panneaux solaires, mais aussi les parcs, les piscines, les gares, les écoles … sont des infrastructures.

Or ces biens sont désormais au cœur du débat sur la transition socio écologique : si la question de la fermeture de certaines infrastructures a fait récemment l’actualité, celle de leur partage demeure moins explorée, alors même qu’elle ouvre tout un champ des possibles.

Parmi ces infrastructures figurent ce que nous appelons communément des « bureaux », c’est-à-dire les espaces de travail d’une organisation. Ils peuvent en effet être considérés comme des infrastructures, au sens d’équipements collectifs, même s’ils ne sont pas des infrastructures publiques indispensables à la société pour se déplacer, se chauffer ou communiquer.

Dans ce contexte, l’expérimentation « salle sur demande », initiée par le Département de l’Isère et accompagnée par la Turbine[1], se révèle être particulièrement pertinente pour repenser les espaces en « mode usages ». Elle vise à partager certains espaces des collèges hors du temps scolaire pour des usages associatifs et de formation. La version ultérieure de l’expérimentation prévoit de l’étendre à d’autres espaces que les collèges (ex : équipement sportif), pour des usages privés.

De fait, les acteurs du conseil, de la conception et de l’aménagement des espaces de bureaux réfléchissent au développement de cette logique de l’usage, dans une quête de valorisation économique de mètres carrés souvent inutilisés (du fait du travail à distance, etc.).

De la salle de classe au bureau ?

En première lecture, la mise à disposition des espaces d’un collège à des associations de la part d’une collectivité territoriale peut sembler assez éloignée des sujets portés par les acteurs de l’immobilier d’entreprise ! Pour autant, on pourrait imaginer d’autres finalités au partage des bureaux, comme celle par exemple de développer le taux d’occupation et de favoriser les interactions entre individus issus de diverses organisations.

Quels enseignements ?

Nous proposons ici quatre pistes de réflexion pour entamer, ou poursuivre, une démarche de partage d’infrastructures :

·        Les usages : le partage d’infrastructure vise-t-il à développer les mêmes usages en étendant la masse d’usagers, et/ou à développer de nouveaux usages dans ces infrastructures ? Autrement dit, va-t-on utiliser l’espace pour les mêmes activités que ce pour quoi il est conçu initialement ?  Ces usages seront-t-ils concomitants ou indépendants ?

·        Les modalités de la mise en relation : dans le partage d’infrastructures collectives, savoir comment mettre en relation les usagers et garantir un cadre de confiance n’est pas aisé. Si l’économie dite collaborative a largement investigué le champ pour le partage de biens individuels, en particulier en développant une offre assurantielle, qu’en est-t-il pour les infrastructures collectives ? Comment procéder à ce partage ? Et si l’outil de plateforme numérique est largement utilisé, qui le développe et l’opère ?

·        Les incitations : quelles sont les incitations possibles de ce partage d’infrastructures collectives ? Si la rétribution financière existe dans le cas d’infrastructures publiques, va-t-elle devenir une ressource indispensable à son fonctionnement ? Au-delà de l’incitation financières, quelles sont les autres incitations à la mise en relation : effets de réseaux, développement de l’offre, attractivité, cohésion sociale ?

·        La gouvernance : comment engager les gestionnaires dans le partage de ces infrastructures ? Qui est responsable en cas de dommages et autres risques ? Quelle organisation peut structurer ce partage d’infrastructures ?

Ces quatre pistes de réflexion interrogent concrètement les finalités et les outils de ces partages d’infrastructures pour les acteurs concernés, ou ceux souhaitant s’engager dans cette démarche. Ces expérimentations (Département de l’Isère, mais aussi Mutualité Française Isère) interrogent ce qui relève d’une visée de bien commun : une accessibilité des infrastructures publiques dans un cas, une finalité sociale dans un autre. Tout comme le bureau de demain, qui sera un espace partagé entre plusieurs usages : travail, loisirs, finalités « sociétales » ?

Initier le partage d’infrastructures collectives est une démarche qui concerne des acteurs divers (collectivités territoriales, organisations privées, mutualistes), avec des finalités parfois éloignées de ce qu’on connait dans l’économie dite collaborative. Mais ce n’est pas un leurre ou un vœu pieux : des expérimentations existent, et permettent de penser un renouvellement des infrastructures plutôt que leur destruction. Un meilleur usage est aussi la source possible d’une meilleure économie de ces ressources à fort impact pour la planète (leur construction, leur rénovation et leur destruction).

[1] La Turbine est une fabrique collaborative de services numériques pour l’intérêt général. Pour en savoir plus : https://turbine.coop/.